Marcher, marcher. Et pourquoi pas en Corse, sur le GR 20 ? Il parait que c’est magnifique et puis, la Corse, nous tournons autour en bateau depuis si longtemps qu’il serait bien venu d’en parcourir ses terres même si, dans une autre vie, nous en avons escaladé ses parois de granit et pour ma part, traversé une partie de ses montagnes à ski. Si, c’est possible.
Alors, comme Carole n’apprécie guère les dénivelés chargée d’un gros sac, c’est avec mon pote de grimpe, celui avec lequel, depuis 40 ans, j’ai empilé des milliers de mètres d’escalade dans des endroits parfois peu fréquentables, que se fera ce road trip aux saveurs de « coppa é Pietra ».
En quelque sorte une balade de vieux grimpeurs dont les capacités et la motivation sont quelque peu entamées, mais qui font mine de redécouvrir la randonnée pour ne pas se fossiliser trop rapidement. Autrefois, nous marchions beaucoup en montagne, mais c’était une obligation pour rejoindre les voies. Aujourd’hui l’obligation est devenue sanitaire.
Donc, sans hésiter, mais peut-être beaucoup trop tôt, billets de train et de ferry sont vite réservés. Alors commence le temps des recherches sur internet. Itinéraire, étapes, eau, nourriture… Et là stupeur. Le GR 20 de nos jeunes années a bien changé. Il est devenu le défi à réaliser absolument si tu veux engranger des millions de vues sur YouTube et devenir le winner de ton quartier. Mais la popularité engendre une surfréquentation et des conditions incompatibles avec nos cerveaux façonnés par les années quatre-vingt : réservation obligatoire des bivouacs (aux tarifs prohibitifs), refuges bondés, flot d’excités animés par des objectifs de performance… Tout ça n’est pas pour nous et un changement de plan semble indispensable.
Sur la carte, une alternative semble jouable. Elle démarre à Calenzana comme le fameux Twenty Grr Stadium et peut finir à Moriani sur la côte est. Mais avec la chaleur et le peu d’altitude de cette dernière section, l’aventure s’arrêtera à Corte. Ce qui déjà fait une sympathique escapade quasi déserte si l’on excepte la courte partie commune avec l’autoroute médiatisée.
Première étape : Calenzana — Bonifatu
12 km environ
Dénivelé positif : 530 mètres
Dénivelé négatif : 330 mètres
Temps de marche : environ 5 heures
Débarqués du ferry et après un rapide petit déjeuner nous prenons le train qui nous amène à Calvi. Puis, devant la rareté des bus sur cette ligne, nous prenons l’option taxi pour rejoindre Calenzana. Il n’est que 10 h 30, pourquoi ne pas commencer à marcher ?
Certes, il fait chaud, mais cela nous mettra dans l’ambiance. Et aussi en surchauffe. Heureusement l’endroit est magnifique et l’accueil chaleureux. Bivouac ombragé et Piétra. On attaque les lyophilisés. car il faut alléger les sacs.
Deuxième étape : Bonifatu — Tuvarelli
17 km environ
Dénivelé positif : 650 mètres
Dénivelé négatif : 1100 mètres
Temps de marche : environ 7 heures
Un départ dans la belle forêt de Bonifatu, donc à l’ombre et qui nous fera passer par la Bocca Bonassa, la vallée du Fango, ainsi que par le Col de l’Erbaghiolu. La descente sur Tuvarelli n’en finit plus, les gosiers se dessèchent, les pieds s’indignent. C’est dans un état proche de la momification que nous nous jetons sur le Fango, food truck situé à l’arrivée du sentier, et le délestons de moult boissons. Et là surprise : la patronne nous dit qu’ici, plus de camping ni de gite. Mais heureusement, juste à côté, il y a Serge qui possède un terrain aménagé pour le camping. Un coup de fil plus tard, celui-ci vient nous chercher et nous conduit là où nous pouvons monter nos tentes pour un prix « modique » incluant des commodités spartiates. Baignade dans le Fango (la rivière pas le food truck), lyophylisés, retrouvaille avec une randonneuse rencontrée à Bonifatu et discussion avec de grands ados pas encore convaincus par la délicieuse souffrance que procure une longue marche sur sol caillouteux.
Troisième étape : Tuvarelli — Bivouac intermédiaire
10 km environ
Dénivelé positif : 150 mètres
Dénivelé négatif : 0 mètre
Temps de marche : environ 3/4 heures
Remontée du Fango par le chemin de la Transhumance, mais la chaleur devenant insupportable, nous nous arrêtons à l’embranchement du retour de la boucle qui passe par Santa Maria. Deux plats pour les tentes, arbres feuillus pour l’ombre, rivière à vasque pour le bain et surtout, pas âme qui vive : que demander de plus ? Baignade, farniente et… lyophilisés.
Quatrième étape : Bivouac intermédiaire — Refuge de Puscaghia
8 km environ
Dénivelé positif : 1100 mètres
Dénivelé négatif : 250 mètres
Temps de marche : environ 4 heures
Départ très matinal pour la montée au col di Capronale qui s’effectue à l’abri du soleil. Heureusement, ça dénivelle et on prend vite de la hauteur pour finir à 1833 m. Descente courte (mais toujours mal pavée) sur le refuge dont le gardien est parti ravitailler. C’est une randonneuse croisée à la montée et qui a fui le GR 20 qui nous l’a dit. Nous sommes donc seuls en ces lieux. Le paysage a changé ; ici granit et pins séculaires règnent en maîtres. En attendant que reviennent la denrée nourricière et celui qui la porte, nous nous baignons et lyophimangeons. En fin d’après-midi apparaît le gardien, en sueur et bien chargé. Nous le laissons récupérer avant de le rejoindre. Gilles, c’est son nom, nous informe que sans réservation les prix de bivouac sont doubles : 18 au lieu de 9 euros. Bon, on le savait, c’est marqué sur la porte. De toute façon, les alternatives sont limitées. Alors on entame la conversation. La surfréquentation, l’hystérie des groupes qui débarquent, les fosses septiques qui débordent, l’incivilité de certains randonneurs, la montagne qui est devenue un cirque ou un stade, les « c’est plus comme avant ». Sous ses abords un peu bougons Gilles s’avère être une personne bien sympathique avec laquelle nous découvrirons avoir en commun certaines valeurs et compréhensions du monde.
Plantage de tente, Gilles nous rejoint pour nous annoncer que le tarif ne sera pas doublé. Nous décidons donc, pour changer du quotidien, de manger au refuge : un peu de charcuterie, des pâtes au basilic et un dessert. Comme nous ne serons que tous les deux ici pour cette nuit, la conversation reprend et sera clôturée par un petit verre de limoncello offert par notre hôte.
Quatrième étape : Refuge de Puscaghia — Castellu di Vergio
10 km environ
Dénivelé positif : 750 mètres
Dénivelé négatif : 450 mètres
Temps de marche : environ 4/5 heures
Départ matinal, on salue Gilles. La montée au col de Guagnarola se passe tout d’abord dans la forêt avant de rejoindre un vallon encadré par des parois granitiques de toute beauté sur lesquelles nous ne pouvons nous empêcher de tracer des lignes évidentes. Ça monte raide. Du coup on est vite en haut. Toujours personne sur cet itinéraire. Ce ne sera pas le cas lorsque nous rattraperons le GR 20 qui mène à notre but. Une vraie fourmilière. Un peu perturbant quand on a connu la tranquillité. Après une jolie descente, mais un peu longue tout de même, l’arrivée sur l’hôtel et le camping de Castellu di Vergio tranche aussi avec les jours précédents : une flopée de randonneurs tous plus ou moins éclopés bourdonne en continu sur la terrasse qui sert de réfectoire. Beaucoup de jeunes et d’étrangers. Nous faisons ici office de curiosité archéologique. En revanche, toilettes et douches nickels pour le prix d’un bivouac GR 20 réservé. Ici, ce n’est pas le Parc, c’est privé. L’endroit est d’ailleurs assez agréable malgré la présence du bâtiment franchement pas intégré au paysage. Sinon, les deux téléskis étonnent un peu ; on cherche la pente. Des photos dans le hall de l’hôtel attestent d’un enneigement conséquent par le passé. Vergio, station de ski ? Nous n’irons pas jusque là ! Le soir, on se lâche un peu au resto de l’hôtel puis nuit tranquille, même si on ne se sent pas tout seul.
Cinquième étape : Castellu di Vergio — Bergerie de Vaccaghia
15 km environ
Dénivelé positif : 650 mètres
Dénivelé négatif : 550 mètres
Temps de marche : environ 4/5 heures
Lever 6 h comme les autres jours. Cheminement dans la forêt avant d’atteindre le col San Pedru et c’est une longue crête qui permet d’accéder à la Bocca a Reta, le col qui domine le magnifique lac Nino et ses trous d’eau si particuliers. Le paysage a encore changé. Nous sommes maintenant sur de la prairie pour le plus grand bonheur de nos pieds et genoux. Nous passons devant la bergerie des Inzercche avant d’arriver par un chemin redevenu caillouteux à celle de Vaccaghia. Nous sommes toujours sur une section du célébrissime Twenty Grr Stadium dont l’étape se termine normalement à Manganu, mais dont de nombreux utilisateurs/compétiteurs font malheureusement halte ici. Pour être tout à fait franc, l’ambiance est un peu spéciale. La clientèle continue à parler records et exploits sportifs et la paire d’anciens bergers, un homme d’un certain âge et une femme plus jeune, qui gère ce territoire criblé de tentes Quechua en location, comme sur toutes les étapes du GR, n’est pas sans nous évoquer un certain rapprochement avec les protagonistes du film Délivrance. Pour le repas du soir, nous opterons pour la sécurité : lyophilisés.
Sixième étape : Bergerie de Vaccaghia — Corte
22 km environ
Dénivelé positif : 0 mètre
Dénivelé négatif : 1100 mètres
Temps de marche : environ 8 heures
Initialement, il était prévu de faire étape au refuge de la Sega. Nous y serons à 11 h et finalement, après un copieux casse-croûte aux charcuteries et fromages corses, nous déciderons de poursuivre par la longue, très longue descente qui conduit à Corte. À noter qu’un stop à la bergerie de Tramizzole, déserte, non habitée, pourvue d’emplacements plats et d’eau eut été préférable à celui de Vaccaghia bien que rajoutant trois quarts d’heure de marche à l’étape de la veille. Heureusement cette interminable descente s’effectue en grande partie à l’ombre d’une forêt avant d’emprunter les gorges de Tavigano qui conduisent à la civilisation. La seule passerelle de l’itinéraire qui enjambe le Tavignano permettra d’y accéder pour nous y baigner et retrouver de nombreux vacanciers locaux qui semblent priser cette délicieuse piscine naturelle. Nous parvenons au camping chez Bartho en mode survie et la quantité de pietra sera en rapport avec notre déshydratation. Un peu de flânerie dans la vieille ville de Corte le lendemain sera le point d’orgue de cette promenade de presque 100 km sur l’Île de Beauté que nous quitterons depuis Bastia.